FROM GROUND ZERO, The Untold Stories From Gaza - à l’initiative de Rashid Masharawi

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Images résistantes

Face aux images documentaires montrant le pire – les conditions de vie d’un tissu social victime d’un génocide – nous voilà témoins et acteurs de l’Histoire. Une responsabilité qui fait de ce film un film essentiel, aussi bien à la survie des Palestinien·nes qu’à la pérennité de notre humanité. 

Comment écrit-on sur un film dont la seule existence constitue un acte de résistance ? Comment écrit-on sur un projet cinématographique dans lequel le sang versé n’a pas été acheté mais s’écoule du corps gisant d’un innocent ? Comment parler et faire parler ces images face au silence du monde occidental ? Autant de questions qui ne sauraient trouver de réponses satisfaisantes en quelques lignes, mais dont la complexité ne doit pas nous détourner de l’urgence. L’urgence de mettre en lumière ces voix palestiniennes écrasées de manière totale et indifférenciée. Alors que la culture gazaouite fait l’objet d’une destruction impérialiste organisée, Sorociné a considéré qu’il était de sa responsabilité de soutenir ce projet précieux car humaniste : From Ground Zero.

Nommé aux Oscars 2025, From Ground Zero est un projet documentaire lancé par Rashid Masharawi. Il s’agit d’un film qui réunit vingt-deux courts-métrages créés par des Gazaouites et Gazaouis depuis le mois d’octobre 2023. Que dire ? Commencer par ne pas cacher qu’il est difficile de supporter ces images, car dans ces films, tous les détails de la vie sont brutalisés. Travailler. Boire de l’eau. Manger. Aller aux toilettes. Dormir. Et cela, jusqu’à des besoins fondamentaux insoupçonnés, tels que le silence de la paix. Vivre demande alors un courage répété, survivre aussi. 

Si ce film est aussi important, c’est parce qu’il raconte les histoires des Gazaouites et des Gazaouis, et en fait des preuves irréfutables, des archives. Comme le disait Lina Soualem au festival de cinéma de Locarno : « When you’re start filming in Palestine, you automatically are already filming an archive. » On suit alors l’histoire d’une jeune fille promise à une carrière artistique internationale avant la guerre, mais dont les œuvres ont été détruites par un bombardement, et son futur avec celles-ci. On suit aussi l’histoire d’une mère qui donne le bain à son enfant dans un bac en plastique blanc, une scène qui montre que la guerre contraint même la tendresse maternelle. C’est encore l’histoire d’un comédien qui, malgré le massacre en cours, ira prendre sa douche et monter sur scène, dit-il, avant de découvrir le lieu de représentation détruit.

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From Ground Zero est alors un film qui navigue entre l’espoir et l’écrasement, dessinant à travers ces allers-retours une cartographie de la vie gazaouite. Parmi les images de ces vingt-deux courts-métrages, deux matrices reviennent constamment : la mer et les débris. 

La mer, premièrement, s’impose comme une poétique de l’espoir. Parce que les vagues ont de rassurant leurs mouvements continus qui se dressent au-delà de la perte et de la mort. Celles-ci tombant n’importe quand, sur n’importe qui. Parce que la mer semble être la seule ressource qui ne peut pas être arrachée par la main humaine. Enfin parce que la mer, telle qu’elle est filmée, de manière enveloppante et maternelle, représente le lien indéfectible d’un individu à son territoire. Quant aux débris, ils sont tellement présents qu’ils en paraissent irréels. Cela dit, ils deviennent très concrets lorsqu’un homme, paniqué et en sueur, marche sur le tas de décombres de ce qui était sa maison, son foyer. Il cherche son frère. D’un coup d’un seul, le spectateur se retrouve confronté dans son propre corps à la force du béton, à sa masse, et à tout ce qu’il exprime d’impossible : sauver ce frère, sauver son frère. L’empathie du spectateur le pousse alors à entrevoir l’oppression dont sont victimes les Palestinien·nes : un écrasement aussi bien vertical qu’horizontal. Écrasé·es sous le son des explosions qui les ramènent au sol pour se protéger. Écrasé·es par l’impossibilité de sauver et de se sauver, au sens propre comme figuré. 

Oui, From Ground Zero est un projet cinématographique important. Non seulement il prend le public comme témoin et complice de ces images, et force notre responsabilité face à l’Histoire en cours. Mais il pose aussi l’une des questions les plus fondamentales de l’humanité : qu’est-ce que l’humain – livré à lui-même face à la persécution – peut-il faire pour ne pas sombrer ? Vertigineuse question, qui trouve peut-être réponse dans la création. Si le droit international n’y peut rien, peut-être que le cinéma le pourra ? Alors c’est comme ça, à partir de zéro, que celles et ceux qui sont persécutés trouvent le courage de tendre la main à la caméra. 

Malgré l’espoir que porte le projet, on est vite rattrapé par cette phrase criante de vérité, prononcée par Ahmed Hassouna, le réalisateur de Sorry Cinéma. « Pardonne-moi Cinéma. Je vais mettre la caméra de côté et courir avec les autres. Parmi les maisons détruites, j’abandonnerai un moment le cinéma qui exprime toute la faim d’un peuple. »  En effet, le film ne censure pas toujours la violence de la réalité. On pense tout particulièrement à cette scène du film 24 hours d’Alaa Damo. On y découvre un homme encore vivant – le visage coincé sous les débris – et à côté de lui, le corps mort de son cousin avec qui il a grandi. On met sur pause, si on le peut. On encaisse. On se sent impuissant·es et désarmé·es face à la difficulté de ces images. Puis on se rappelle que ces images sont la condition et la vie quotidienne de ces personnes. Alors on respire, et on continue. 

Et c’est peut-être comme ça, en ne cédant plus sous le poids de ses émotions, qu’on les soutient et qu’on trouve la force de porter leur voix.

Et c’est exactement comme ça, que From Ground Zero est un film essentiel, politique, et d’ores et déjà historique. 

VICTORIA FABY

From Ground Zero, The Untold Stories From Gaza

À l’initiative de Rashid Masharawi

De Reema Mahmoud, Etimad Washah, Karim Satoum

Palestine, France, Qatar, Jordanie, 2024

Le projet From Ground Zéro a été lancé par Rashid Masharawi, le réalisateur palestinien originaire de Gaza, durant la guerre lancée après les attaques du 7 octobre 2023. Ce projet a vu le jour en partant du constat que la parole des Gazaouis est difficilement audible, qu’il est nécessaire d’avoir des traces de ce qui est vécu pour que la mémoire soit conservée, que l’histoire de l’occupation de la Palestine ne puisse être réécrite sans prendre en compte celle des Palestiniens et particulièrement ceux de Gaza.

Dans ce contexte, il n’est pas aisé d’imaginer un espace de création florissant et pourtant il existe. La bande de Gaza a ses talents artistiques, que rien ne doit arrêter de créer. C’est ainsi qu’est née l’idée de composer un film avec 22 très courtes histoires. Cela permet la multiplicité des points de vue, garantit la faisabilité des tournages, qui sont forcément courts et dispersés dans l’espace de la bande de Gaza, et illustre la fertilité créative en empruntant à différents genres : fiction, documentaire, docu-fiction, animation voire expérimental.

En salles le 12 février 2025

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